I’m a spy in the house of love

J’ai rencontré la Commune pour la première fois dans l’effervescence de son installation. J’y suis arrivée impressionnée et un peu étourdie par les multiples chantiers en cours, par les personnages qui semblaient la peupler. J’y arrivais au côté d’un homme grâce auquel j’apprivoisais déjà l’idée que d’autres liens étaient possibles.

J’avais grandi avec la révolte au fond du ventre et j’avais cru devoir me ranger dans des ordres que je comprenais à peine pour accéder à une vie apaisée. J’avais lié ma vie avec quelqu’un qui prônait un modèle traditionnel, dont le goût du voyage et de la discussion ne venait qu’alimenter ce modèle. J’étais en train de me séparer de ce modèle, en train de tenter, au prix de l’arrachement d’une partie de mon corps, de dénouer ce lien. J’avais cru qu’il m’arrimait là où je me sentais l’éternelle passante, l’étrangère en toute chose. Mais mon étouffement était devenu palpable, mon corps s’évanouissait, ses tremblements me témoignaient que c’en était trop. Qu’autre chose était nécessaire.

Je suis revenue à la Commune le soir où les choses ont été tranchées. C’en était fini de cette vie. Il était encore difficile pour moi d’imaginer pouvoir écrire ailleurs. Sur un bout de canapé, j’ai assisté, presque silencieuse, aux échanges animés autour de ce nouveau lieu, de ce nouveau projet. Le corps adossé à celui qui me permettait encore d’y sentir un brin de vie. Je suis repartie presque comme je suis venue, en coup de vent, saluant ces visages qui ne m’étaient pas encore incarnés, mais qui m’avaient fait place.

Un troisième passage à la veille des vacances de Noël. Le premier Noël que je passerais sans mon fils de 3 ans et demi, au lendemain d’un « à la semaine prochaine » déchirant. Préparation d’une soirée à laquelle je ne pourrais pas assister. Effervescence encore, ballet de visages qui doucement, commençaient pour moi à prendre corps. Je me suis encore éclipsée comme j’étais venue.

Le jour de Noël, après une veillée passé à faire mes ultimes cartons dans ce qui ne serait bientôt plus que l’appartement du père de mon fils. Première préparation de repas, premier repas partagé. C’était le seul endroit où j’aurais pu passer Noël, sans le laisser passer. Le seul endroit où je sentais pouvoir être accueillie comme j’arrivais, évanescente ou en miettes, sans questions, sans interrogations, un pur accueil bienveillant de ce que je pouvais y apporter.

Progressivement, la Commune s’est peuplée pour moi. Au un par un, au fil des rencontres, de l’incarnation de ces visages dans une tranche de vie, dans une émotion, un moment partagés. J’ai pu commencer à y prendre vie, à laisser s’exprimer, par touches, mon ironie, ma tendresse et mon appétit. Impossible de rendre compte de ces rencontres, à moins de portraits fulgurants. Impossible de rendre le relief de cette humanité en-deçà des murs. Impossible d’éprouver par les mots la force de ces liens entre les pointillés de la rencontre des corps. Impossible et surtout impensable à l’heure où ces liens sont tout ce qu’il en reste.

Au printemps, la Commune s’est dépeuplée de certains de ses membres. D’autres l’ont rejointe. Corps sans tête, aux membres changeants, une âme intacte, la peinture venant panser ses murs endoloris par un trop long désintérêt. Des hommes et des femmes y ont accueilli d’autres humains. Elle a changé de visages au fil des mois, changé de contours, changé d’ambiances. Rien ne s’y fige, elle a vécu au rythme des saisons de ceux qui l’occupaient, de ceux qui y installaient ce qu’ils pouvaient apporter. Mon fils aussi est venu. Il l’a tout de suite adoptée, ainsi que ses habitants, éphémères et passants, panseurs et accueillants, des âmes d’enfant aux corps de tous âges. Le premier soir, il y a laissé deux petites voitures, qui lui avaient été gardées au chaud. Retrouvées le lendemain, il a répondu qu’il avait fait exprès de les laisser : « c’est pour la Commune, comme ça, d’autres pourront jouer avec ». Il avait adopté le bateau pirate du jardin partagé, les herbes aromatiques, la fête, la salle de spestacle, la voiture de Flash qui avant était électrique.

Je ne lui ai pas encore dit que la Commune avait été verrouillée. Que ceux qui faisaient le sel de sa vie était confinés dehors, par la mise en exécution froide et implacable d’un ordre d’expulsion, à l’éveil de l’hiver. La maman que je suis espère sans doute qu’un miracle advienne pour ne pas faire face à sa tristesse. Et en même temps, je sais qu’il peut me surprendre en répondant simplement qu’il faut trouver un autre lieu, mais avec un bateau pirate. Je ne lui expliquerai pas encore que les murs ne sont certes pas essentiels, mais qu’ils donnent aussi forme aux énergies. Qu’un autre lieu serait un autre lieu. Que cette page est peut-être tournée mais que quelquefois, il faut refuser de la tourner, pour soi, pour les autres, mais aussi pour que ces autres liens restent possibles.

Gaëlle